Wednesday, November 28, 2012
Frédéric Chaberlot n'est pas musicologue
Dans son livre La science est-elle un conte de fées? il donne un exemple de ce qu'il considère un phénomène objectif mais non-scientifique, même antiscientifique. P. 250 il nous donne deux extraits de partitions, dans les deux cas les dernières mesures du morceau: Prélude n°8 en mi bémol mineur, premier livre du Clavier Bien Tempéré par JSB, et Lied n°21 de Winterreise par FzSch. Les deux finissent avec le même accord, même longueur de notes, même disposition des voix de l'accord, même dynamique modeste (piano) et il dit que pourtant l'effet émotionnel de cet accord là est complètement différent. J'imagine qu'à quelque occasion il a plongé ses mains en de l'eau tiède après les avoir tenues plongées l'une dans de l'eau chaude et l'autre dans de l'eau froide. En musique aussi une note et un accord donne un effet qui ne dépend pas uniquement de son identité, mais aussi de l'intervalle depuis ce qui précède.
D'abord, donc, l'accord de mi bémol majeur vient après un morceau qui a eu sa tonique auparavant comme mi bémol mineur dans l'exemple de Bach. Chez Schubert, le morceau déjà est en majeur. Et redéfinir la tonique en majeur pour la dernière note donne un effet comme un défi lancé à la douleur ou comme un soulagement tardif après quelque chose de sérieux. Rejouer la tonique en majeur comme avant est normal.
Ensuite, chez Bach la tonique vient après un point d'orgue sur la tonique (une octave dessus la basse pour la dernière note) ce qui donne un effet de culmination après une attente. Chez Schubert la tonique vient après une dominante, ce qui donne un effet de retomber sur le repos.
Ensuite, chez Bach le point d'orgue conduit à une dissonance très forte la mesure avant la tonique, qui donc donne un soulagement après une peine. Chez Schubert les deux notes avant la tonique sont une dominante normale avec son appogiature d'abord. Ce qui donne un effet de finalité.
Ensuite, chez Bach il y a une basse lente avec les notes vites jouées comme un effleurage avant le repos, chez Schubert le repos est comptable comme 4 fois plus long que la note typique avant, ce qui donne un effet de repos assez définitif.
Avec ces donnés visibles pour un musicologue, je devine en avance que la dernière note chez Bach va sonner de manière plus passionné que chez Schubert.
Allons aux œuvres, BWV 853, Prélude et Fugue en Mi bémol Mineur, le Prélude tîtré Aria Pathetica:
http://www.youtube.com/watch?v=Y4kihlDPP4Q
Je présume que les mesures donnés par le livre sont 4:20 et les secondes suivantes. Je trouvais la dernière note moins forte que présumé, mais c'est que j'avais oublié la dynamique piano.
Et ensuite Das Wirtshaus, Lied 21 de Winterreise:
http://www.youtube.com/watch?v=sGEr3y9lyCA
Cette fois ci la nuance piano ne m'a pas surpris, mais on entend très bien que la dernière note sonne beaucoup plus chaleureuse dans ce contexte. Et, vu que c'est la tonique, on l'a entendue maniée de manière chaleureuse dès le début. Pourtant je trouvais la nostalgie (et il y a dedans une vraie algeia, quoique dominée par la paix) plus notable que soupçonnée, mais j'aurais du m'en douter: 1) parce que c'est du Schubert, 2) parce que j'avais déjà noté que le ton tonique lui-même avait été haussé de mi bémol en mi nature un peu avant, un effet chromatique qui n'est pas sans effleurer la sérénité un peu.
Que la sonorité de base était plus chaleureuse chez Schubert, j'aurais pu m'en douter à cause de la facture plus riche en superpositions de tierces que chez Bach (si on se limite à ces deux morceaux, mais c'est typiques pour leurs styles, me semble-t-il). Mais quand on n'est pas capable d'entendre un morceau dans sa tête correctement, aller de partition à écoute donne toujours quelque surprise. Et souvent une bonne.
Hans-Georg Lundahl
Audoux, Paris
St Jacques de la Marche
28-XI-2012
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