Tuesday, March 4, 2014

Britten n’était pas plagiaire, moi non plus

En CLASSICA n° 160 je trouve une question à laquelle la réponse est exemplaire d'un côté et lacunaire d'un autre:

Q
J’ai retrouvé sur Internet l’ancien indicatif du club de la presse d’Europe 1 de 1976 à 2000. Cette œuvre,The Young Person’s Guide to the Orchestra, opus 34 de Britten, sous-titrée Variations et fuguesur un thème de Purcell , est-elle un plagiat ? Merci de m’indiquer alors les références de la version originale de Purcell, si c’est le cas.

Stéphan Yvon (Rennes)
R
Dans cette œuvre d’une quinzaine de minutes destinée à initier les jeunes aux instruments de l’orchestre, Benjamin Britten a repris un thème de Purcell du rondeau d’Abdelazer, musique de scène créé en 1677.


CLASSICA (n° 160, mars 2014) n’a pas répondu à toute la question. Le magazine n’a pas donné la réponse correcte que The Young Person’s Guide to the Orchestra ne constitue pas un plagiat. Ni directement prétendu qu’elle le fasse non plus.

La question à plus qu’un niveau.

Le niveau juridique précise que dès 50 ans ou 75 de la mort de Purcell il n’a plus de la propriété intellectuelle et artistique, donc il n’y a aucune infraction au code de la propriété intellectuelle et artistique. Britten avait le droit de faire ce qu’il voulait, et si un descendant de Purcell avait voulu lui faire le procès, il ne l’aurait pas pu.

Du vivant de Purcell cette propriété intellectuelle et artistique n’existait même pas sur le plan juridique. Si je reprends un thème de Bob Dylan dans un contexte qui ne lui plait pas, ile peut me faire un procès. Si tel autre compositeur aux temps de Purcell aurait pris ce thème, même de son vivant Purcell n’aurait pas pu lui faire un procès.

Il y a un autre plan, celui de l’honnêteté. Là il ne s’agit pas du droit que l’artiste a à un certain revenu et à un certain contrôle sur ce qui se passe avec son œuvre, ce qu’est le contenu de la propriété intellectuelle ou artistique. Là non plus Britten n’a pas plagié Purcell.

Il faut savoir que même du vivant de Purcell, quelqu’un avait repris le thème en niant qu’il était de Purcell ou en prétendant qu’il était de lui-même seul (c’est autre chose s’il avait dit « de quelqu’un » et laissé à son public de deviner qu’il est de Purcell), Purcell aurait pu lui faire le reproche de plagiat. S’il avait voulu se défendre en lice, il n’aurait pas pu citer Purcell pour calomnie, car il aurait commis l’acte reprochable que lui reprochait, dans ce cas fictif Purcell.

Par contre, si Benjamin Britten sous-titre son œuvre «  x sur un thème de Purcell » alors il n’y a aucun plagiat, mais au contraire un compliment. Ça veut dire « Mister Purcell, votre rondeau est tellement beau qu’un thème peut servir dans ma musique aussi ! » et jamais dans la vie que Purcell aurait pu prendre ça comme un insulte, à moins que le nouveau contexte était vraiment laide.

Combien d’une œuvre peut-on reprendre sans commettre plagiat même sans avouer l’emprunt ? Mon professeur de musique – que j’avais sur SSHL, fin collège et ensuite lycée, sauf quand il était remplacé par un collègue d’Australie - m’a précisé que la limite est de quatre mesures.

Si donc j’ai repris quatre mesures d’un thème de Bach (qui se trouvait dans un livre d’instruction pour l’écriture fugale), et si le thème est de précisément quatre mesures, et si dans ma composition non pas seulement je donne « sur un thème de Bach » (ou « za temat Bacha ») mais en plus je souligne l’endroit dans ma composition où il se trouve à son état pur, il n’y a aucune infraction à la propriété intellectuelle et artistique de Bach et pas non plus contre l’honnêteté.*

En occurrence, c’est ce que je faisais à l’époque que j’étudiais le polonais (d’où le choix de Polonaise plutôt que Menuet, d’où le titre en polonais).

De fait il y a encore deux compositions dans l’ensemble sur ce blog jusqu’à présent** qui ont un thème emprunté. Dans l’une occasion Oscar Hammerstein II devrait avoir des héritiers encore en vie, mais ce n’est que le thème subsidiaire de Doe, a Deer … (et avoué comme tel), dans l’autre occasion j’ai laissé à mon public de deviner la référence.

Ceci n’est pas plagiat. Honni soit qui mal y pense.

Hans-Georg Lundahl
Bibliothèque Mouffetard
St Casimir de Pologne et
de la Lithuanie
4-III-2014

* Quant à la possibilité que le thème soit d'un autre compositeur, il y aura emprunt mal attribué, mais pas du plagiat pour mon propre compte. Il y avait dans le livre d'écriture fugale deux listes de thèmes, un purement de Bach et celui était de l'autre liste qui comprenait des thèmes de Bach aussi. J'avais confondu les listes et je n'ai pas trouvé autre précision quant au compositeur.

** Qui exclut jusqu’à présent les œuvres de jeunesse qui reprenaient incessablement Folie d’Espagne, sa version en gamme Majeure (ce qui donne God save the King, à peu près, mais je crois avoir évité de le reprendre directement), et le thème de Six Ribbons que le remplaçant australien avait présenté comme une reprise d’une chanson populaire (Three Ribbons, je crois l’avoir croisé sous ce titre) après ma requête sur le programme sérialisé Against the Winds, des thèmes sur lesquels j’ai fait mes dix mille heures proverbiales de « gammes » en matière de composition.